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LE SYNDROME DE L'URTICAIRE (12)

LES NON-EVENEMENTS

On ne peut pas dire que dans les bureaux de la BNP répartis sur trois étages, les événements extraordinaires défrayent la chronique.

Hormis quelques malversations internes sans conséquences autres que pécuniaires qui se soldent en général par un enterrement en catimini de l’affaire accompagné d’une séparation à l’amiable sans vagues et quelques péripéties dues à un turn-over endémique, c’est le calme le plus complet.

Si on s’amusait à tracer chaque jour, une courbe événementielle, elle aurait le profil rigoureusement plat d’un encéphalogramme de cloporte.

C’est sans doute pour cette raison que dans cet univers quasi-carcéral, le moindre indice, la moindre rumeur ou le moindre souffle annonciateur de changement, fut-il le plus anodin fait l’objet de supputations et de spéculations.

Il est aussitôt décrypté, analysé, compilé  par quelques gourous des deux sexes spécialisés dans la « communication » intra-muros.

A côté d’eux, l’agence France Presse ou l’agence Tass font figure de misérables petites officines à ragots.

Vous trouverez ci-dessous la relation d’un non-évènement imaginaire mais tellement vrai ainsi que le détail de ce qui aurait pu être sa chronologie.

Ces faits "ABRACADANTESQUES" auraient pu se dérouler il y a quelques années et  pourraient tout à fait se reproduire de nos jours.

Tout ce qui suit : l’intrigue et ses ressorts, est bien entendu inventé de toutes pièces, le scénario en est à peine exagéré, les agences de la TERRASSE et de CARNOT qui sont citées, le sont à titre fortuit, BELLEVUE, LA TALAUDIERE, le CHAMBON FEUGEROLLES, MONTBRISON ou toute autre agence eussent pu parfaitement faire l’affaire.

- Lundi 20 janvier I985 - 8 heures 15 :

Mme Joséphine ANASTASIE du service C.R.P.E (Chèques Recouvrés Par Erreur) est convoquée dans le bureau d’Antoine BIZUTIN le C.G.A(1).

(1) Chef de Groupe Administratif : Ancêtre ringard du RGRH (Responsable  Groupe Ressources Humaines)

• · 8 heures 23 - Un employé de table, M. CRESCENDO qui arpentait comme chaque matin  les couloirs aperçoit  Mme Anastasie qui franchit le seuil du bureau de M. BIZUTIN.
• · Comme le caractère extraordinairement impromptu de la visite à cette heure matinale, l’interpelle quelque part et bouscule ses quelques neurones encore actifs, il s’empresse toutes affaires cessantes, de rendre compte de la scène à laquelle il vient d’assister à Mme DESNOIX  qui serait sa maîtresse, selon certaines rumeurs tenaces mais non vérifiées !
• · Mme DESNOIX mise au courant, diffère illico presto, la basse besogne administrative sans importance qu'elle n'allait pas tarder à accomplir en priorité après avoir bu son café et lu son journal et sans perdre une seconde, avec un grand souci de confidentialité, de discrétion, de sang-froid, de professionnalisme, elle répercute en chuchotant l’information à son chef de service M. EGRILLETdont elle sait qu’il est particulièrement friand de ce genre d’événement et qu’il s’en délecte goulûment.

- 8 heures 29 -  "Y paraîtrait que la mère ANASTASIE est en train de se faire souffler dans les bronches (qu’elle a imposantes d’ailleurs) et de se faire remonter les bretelles par BIZUTIN, c’est Marcel CRESCENDO qui vient de me le souffler à l’oreille et on dirait que ça chauffe !"

Mlle FIFOUNET et Mme GUSSMAN, les collègues de Mme DESNOIX font semblant de vaquer à leurs occupations mais tous leurs sens exacerbés sont en alerte maximum, elles n’ont pas laissé échapper la moindre bribe de cet aparté auquel elles n’ont pas été conviées. La première qui n’a pas son pareil pour lire sur les lèvres pense avoir tout mémorisé, quand à la seconde, son ouïe particulièrement développée lui a permis de ne rien perdre, croit- elle, de tout ce qui s’est susurré en catimini.

- 8 heures 37 - Elles se retrouvent, sans s’être concertées, évidemment, vers la machine à café pour confronter leur version respective de cette rumeur qui prend corps et en tirer une rapide analyse :

Mlle FIFOUNET a cru comprendre que le travail de Mme ANASTASIElaissant fortement à désirer, que son rendement étant notoirement insuffisant BIZUTIN envisageait de la muter à l’agence de LATERRASSE où elle s’occuperait dorénavant, à mi-temps du contentieux de l’agence qui souffre d’un important retard et ferait du guichet le reste de la journée.

Mme GUSSMAN, quant à elle, est affirmative, d’après ce qu’elle a cru pouvoir déchiffrer : BIZUTIN aurait demandé à Mme ANASTASIE de bien vouloir cesser de s’afficher ostensiblement avec M. HAKAPOULOS, responsable du C.R.P.E parce que ça commencerait à jaser sérieusement dans les services et que si ça perdurait, il envisagerait pour elle, contraint et forcé une mutation à l’agence de CARNOT comme secrétaire de Benjamin JAPRISOT, responsable de l’agence. »

Il est évident que leurs versions divergent, c’est sûr.

Cependant, dans l’urgence il faut bien trancher.

Après quelques minutes d’un débat contradictoire animé et quelques concessions mutuelles, Mme GUSSMAN et Mlle FIFOUNET se mettent très rapidement d’accord sur un consensus mou duquel il ressort que :

Mme Anastasie se serait fait surprendre dans le local des archives de l’Agence de la TERRASSE, dans le plus simple appareil en la galante compagnie de son responsable d’agence Benjamin JAPRISOT par M.HAKAPOULOS, son chef de service venu de l’agence de Carnot pour un contrôle  de routine.

- 8 heures 45 – Le consensus étant entériné, Mme GUSSMAN et Mlle FIFOUNET partent chacune de leur côté, en urgence  « humanitaire », pour tenter de contacter leurs correspondantes disséminées dans les différents services : priorité à l’information.

De son côté M. EGRILLET a quitté son bureau sans perdre une seule seconde, pour rejoindre la salle du courrier. Il sait qu’à cette heure là ( Il est 8 heures 50 ), il pourra disposer d’un auditoire nombreux, attentif et réceptif.

Ponctuant son exposé de quelques silences volontairement appuyés destinés à maintenir l’assistance en haleine et sous pression, il donne en chuchotant sa version des faits - il est 8 heures 55 :

-  Il paraîtrait à ce qu'on dit, que Mme ANASTASIE se serait violemment engueulée avec son chef de Service HAKAPOULOS qui lui aurait reproché sa liaison avec Benjamin JAPRISOT de CARNOT.

HAKAPOULOS  aurait agi sous l’emprise de la jalousie après avoir l’avoir surprise tendrement enlacée avec JAPRISOT dans les toilettes de l'agence de la TERRASSE.

Mu par une jalousie maladive, il les aurait dénoncés traîtreusement  à BIZUT.

Ce qui expliquerait évidemment sa convocation impromptue par BIZUTIN.

D’après ce qu’on sait et qui aurait filtré, BIZUTIN aurait annoncé à Mme ANASTASIE sa mutation à l’agence du CHAMBON FEUGEROLLES où elle remplacerait à mi-temps, Mlle KREUSFELD Jacotte actuellement en congé maternité.

Il ne lui aurait pas laissé d’autre alternative à part celle de démissionner.

Tout se tient.

La nouvelle s’est répandue comme une traînée de poudre, les unes s’apitoient et compatissent, les autres font des gorges chaudes. Chacune y va de son couplet sur l’adultère, se drape dans une vertu de circonstance et commente cette sanction imminente:

- J’vous l’avais dit, ça devait arriver ! Ca s’voyait trop !

- On lui aurait donné le Bon Dieu sans confession ! M’étonne pas qu’elle avait eu sa

classe II ! Sûr qu’elle crachait pas d’ssus  ! Encore une folle du cul !

- Bon débarras, j’pouvais pas l’encadrer cette salope !

- On m’l’avait dit qu’elle était pas du tout du genre farouche mais j’voulais pas trop y croire !

- Savoir où y vont la caser  à la TERRASSE ?

- Quoiqu’il en soit, c’est pas un cadeau qu’y leur font là-bas !

- j’vous l’avais toujours dit : JAPRISOT c’est un chaud lapin ! Faut dire qu’elle donne pas sa part au chien ! C’est une bonne !

- R'marquez bien, HAKAPOULOS y vaut pas mieux !

- J’aurais parié ma participation qu’elle couchait !

La Succursale étant bâtie sur trois étages, notre information strictement confidentielle est partie de l’entresol à 8 heures 23 pour être transmise au 1er étage où elle a subi une analyse circonstanciée, une synthèse poussée et des développements accessoires.

Elle a transité ensuite jusqu’à neuf heures au 2ème étage, de service en service où elle a fait l’objet de débats impromptus où chacun a pu s’exprimer et tirer des conclusions définitives et sans appel.

Véhiculée par une estafette dépêchée spécialement, elle vient d’arriver synthétisée, au rez de chaussée après un périple d’une heure.

Il est 9 heures 30 :

- « D’après ce que l’on croit savoir et bien que ce soit classé strictement confidentiel défense, il paraîtrait que Mme ANASTASIEaurait sollicité de BIZUTIN (elle serait toujours dans son bureau) un congé sans solde pour élever l’enfant qu’elle attendrait de JAPRISOT, responsable du bureau de CARNOT.

Il paraîtrait encore que JAPRISOT qui refuse de reconnaître cette paternité dont l’accuse Mme ANASTASIE, aurait failli en venir aux mains dans les toilettes du service de l’Agence de La Terrasse avecHAKAPOULOS le chef de service de Mme ANASTASIE.

BIZUTIN mis au courant de cette altercation violente et fâcheuse aurait menacé HAKAPOULOS d’une mutation à l’agence de VEAUCHE, comme guichetier à mi-temps en remplacement de Mlle KREUSFELD Jacotte mutée à CARNOT pour raison de santé. »

EPILOGUE

- 9 heures 45

Mme ANASTASIE sort du bureau de BIZUTIN, radieuse et détendue, le Temps Partiel qu’elle avait sollicité quelques jours auparavant, vient d’être accepté et entériné.

Comme quoi, tout le monde peut se tromper !

La langue étant la pire et la meilleure des choses (surtout en sauce) comme disait Esope, faites la tourner 7 fois dans la bouche avant d'énoncer des contre-vérités.

Ceci étant dit, mesdames et messieurs, où que vous bossiez, quoique vous fassiez, méfiez vous comme de la peste, des ragots de service, des rumeurs plus bêtes que méchantes et des bruits qui hantent les couloirs !

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(A SUIVRE)