MELANIE (10)
MELANIE
La jungle se décline de Clichy à Barbès.
Trois pigeons faméliques jouent les cacatoès
Sur un lampadaire borgne, rue de la Boétie.
Les divas de la brousse sont en catalepsie
Dans des musées baroques : troupeau hétéroclite
De gazelles empaillées, de gibbons troglodytes,
De crotales en bocaux, de panthères, de lynx,
De girafes, de buffles, de hyènes et autres sphinx
Du bush et de la steppe. Les pélicans goitreux,
Les choucas, les mainates, les casoars miteux,
se balancent mollement, accrochés aux cimaises
de volières poussiéreuses infestées de punaises.
Charivari choquant de la rue qui se rit
Des gisants qu’on blackboule. On rafle les scories
assoupies ça et là, faubourg saint Honoré.
La milice ratisse, décortique les papiers
De la black en boubou qui geint et psalmodie
Des prières coraniques et des incantations
Pour un croissant rassis ou pour quelque ration
De poulet douce France garni de riz ranci.
Supplique pour avaler discrètement quelques restes
Que nos chiens alanguis trouveraient indigestes :
Bas reliefs des en-cas servis dans les drugstores
Aux dandies névrosés qui vivent dans la pléthore.
Le roi lion croupit dans des fosses abyssales,
Il rêve de savane et les vieilles fringales
Du temps des antilopes, des zébus et des gnous,
Resurgissent vivaces, quand on lui sert du mou.
Les crocodiles lézardent au revers des liquettes
De busards faméliques qui s’adonnent au racket.
Les gorilles sont au Ritz et les grues sont au bois :
De Neuilly à Sarcelles, c’est la brousse qui flamboie.
L’oncle Tom est en case du côté de Belleville,
On le trouve à l’enseigne du « Marabout Tranquille ».
Il rappe ses comptines au son du djeridou,
A l’ombre des pipe-lines du centre Pompidou.
Mélanie fait la manche, accroupie sous un porche,
Quand passent en feulant, les Jaguar et les Porsche
Elle implore et supplie, sa litanie tribale
réveille chez le blanc des pulsions animales.
Frêle statue d’ébène, insensible aux lazzis,
Tous les jours que Dieu fait, elle est là et mendie.
Elle quête des sesterces aux marches de St Ambroise
Et tend sa calebasse aux Gaulois qui la toisent :
Et voudraient à tout prix en riant lui faire croire
Que le Zambèze coule entre Mende et Issoire.
De pirogue en galères, elle rame jour après jour :
Son Titanic dérive de Nanterre à Beaubourg.
Sur son radeau fragile, elle navigue à l’estime.
Elle godille en pleurant de misère en déprime
Elle vogue vers les Marquises ou les îles Maldives
Moi j’attends sur le quai que le métro arrive.
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